Le modelage offre un support de création et d’expression ludique, à partir d’une matière plastique et biologique ; l’argile. Disponible et transformable à souhait, elle se prête volontiers aux intentions créatives du modeleur qu’elle invite également, enfant comme adulte, à un état de régression et de jeu.
Le modelage se distingue des arts plastiques par sa tridimensionnalité. D’emblée, l’objet en terre occupe un espace matériel, présentant un volume, une masse, auxquels il s’agit de s’adapter physiquement pour travailler sur leur transformation. L’engagement corporel est indissociable de cette rencontre et de cet accordage avec la matière. C’est dans le prolongement de ce contact que des formes apparaissent et s’organisent au gré des mouvements émotionnels et psychiques du modeleur. La question du corps, de sa représentation s’inscrit donc dans tout travail avec l’argile.
Une autre particularité du matériau utilisé est sa faculté à solliciter les perceptions sensorielles d’un individu. Tous les sens peuvent être mobilisés, y compris chez certains enfants, celui du goût, constituant une façon supplémentaire de découvrir et de s’approprier la terre.
Léo a 4 ans. C’est un petit garçon qui, depuis sa naissance, connait de multiples ruptures familiales. En atelier modelage, lors des premiers mois, il éprouve le besoin de croquer dans la terre, qu’elle soit souple ou dure, il la mâche longuement avant de l’avaler avec gourmandise, comme il pourrait le faire avec un aliment. Il observe l’empreinte de ses dents laissées dans la matière. Cette incorporation s’entend comme une tentative désespérée de garder en lui quelque chose des séances, de son plaisir à utiliser l’argile et de notre relation, elle vient parler d’une impossible séparation, de l’angoisse d’en perdre quelque chose. Quand Léo pourra introjecter l’expérience de l’atelier, c’est à dire la garder intérieurement sous une forme psychiquement représentable, quand la terre deviendra une nourriture symbolique quelques mois plus tard, il cessera de la manger au sens propre.
C’est une médiation qui ne s’appuie pas sur la parole. Ce qui se passera lors du processus de création s’appréhende visuellement, ne se dit pas mais se montre.
Être en contact avec la terre provoque des réactions en tout genre et en intensité variable selon les personnes : plaisir, déplaisir, dégoût, apaisement, excitation… Parfois, des sensations s’entremêlent de manière contradictoire ou ambivalente (être à la fois attiré et repoussé par de l’argile boueuse, trouver douces et insupportables certaines textures…) Tous ces éprouvés physiques et internes induisent des images mentales. Le modelage est une façon de les accueillir et de les organiser dans un agencement très personnel.
C’est une médiation qui ne s’appuie pas sur la parole. Ce qui se passera lors du processus de création s’appréhende visuellement, ne se dit pas mais se montre. Les mouvements psychiques s’impriment ainsi dans des formes plastiques et dans une dynamique évolutive propre au sujet.
Travailler la terre, c’est entrer dans une temporalité particulière. A travers la rythmicité de ses gestes (lenteur, précipitation, suspension, régularité) le modeleur soutient un dialogue intérieur où son désir de créativité affronte les contraintes du réel. La forme modelée procède d’un développement progressif des interactions entre le modeleur et la matière mais aussi de l’évolution de la pensée mobilisée par le geste.
Les phénomènes de transformation s’inscrivent donc à la fois dans le temps et dans l’espace. L’argile est d’ailleurs soumise à des lois physiques qui déterminent son état. Elle réagit aux éléments, tels que l’air, l’eau, le feu. Elle est sensible à la température ambiante, au taux d’humidité, elle est variable ; souple, dure, collante, boueuse, lourde, grosse, petite, odorante. Elle présente donc des caractéristiques diverses et changeantes, parfois irrémédiables. Des règles s’imposent donc en amont si l’on souhaite lui voir conserver certaines qualités. Par exemple, protéger une pièce de la sécheresse implique de l’envelopper hermétiquement. Il faut penser la terre par anticipation, lui accorder une attention, un soin qui prévaut sur les effets du temps ou des éléments. L’argile peut se présenter comme une matière difficile à maîtriser, avec son lot de surprises et d’imprévus. Elle est déconcertante car à la fois très malléable et en même temps indocile, pleine de contradictions et de promesses.
L’accompagnement de l’art-thérapeute permet à la personne de supporter ces aléas du matériau, de dépasser un possible sentiment d’échec, de découragement, de comprendre quelque chose tant au niveau de l’expérience qu’à un niveau plus symbolique.
L’argile peut se présenter comme une matière difficile à maîtriser, avec son lot de surprises et d’imprévus. Elle est déconcertante car à la fois très malléable et en même temps indocile, pleine de contradictions et de promesses.
Marin a 11 ans, il est très anxieux car il va bientôt entrer au collège, son comportement souvent agité, brutal et dans la provocation des adultes pose problème à l’école et à la maison. Il participe depuis plusieurs mois à l’atelier de modelage, il est convenu qu’il arrêtera de venir après les vacances d’été pour des raisons d’organisation familiale. Marin a besoin de revisiter les différents états de la terre qu’il avait déjà expérimentés les années précédentes. Il associe l’argile à de l’eau puis laisse le résultat obtenu à l’air libre. Successivement, la matière se transforme en un magma boueux, liquide, puis elle sèche, elle est broyée, réhydratée de nouveau jusqu’à ce qu’elle retrouve une certaine malléabilité. Tout en se consacrant à ces expérimentations, il invective régulièrement l’art-thérapeute, teste les limites du cadre et la capacité de l’adulte à supporter ses attaques verbales.
La terre, à travers ses multiples métamorphoses, semble faire miroir aux éprouvés émotionnels désorganisés de ce garçon qui se met « dans tous ses états ». Marin trouve ainsi une façon de se mettre à distance de ce qu’il subit, de transformer ses tumultes pulsionnels en quelque chose de représentable et de matériellement organisable. A défaut de pouvoir agir directement sur ses propres mouvements internes dans un premier temps, il a le sentiment de maîtriser un peu la situation quand il s’agit de l’argile. La réversibilité de celle-ci est rassurante, elle lui permet de se risquer à échouer et à attaquer le lien à l’Autre. L’espace de l’atelier est suffisamment contenant, sécurisant, pour qu’il puisse mettre à l’épreuve le matériau de la médiation et sa relation à l’art-thérapeute. En vérifiant leur solidité, Marin peut envisager de partir sans avoir détruit ni l’atelier ni le lien et commence à mettre de la pensée là où il ne pouvait qu’agir.
Cette médiation constitue ainsi un espace de thérapie où, grâce au processus créatif, projection et symbolisation sont possibles, favorisant les représentations psychiques pour que se déploie la pensée.
Travailler à partir du modelage propose une autre façon d’être en relation avec soi-même, avec son environnement et avec les autres. C’est en fonction de la problématique de la personne et de son projet de soin que l’indication de prise en charge individuelle ou groupale sera posée.
Cet article a été écrit en août 2018 par Nathalie Drouault,
art-thérapeute médiation modelage au centre des Petits Lutins de l’Art.