L’ouïe est un sens remarquable car, contrairement aux autres, nous ne pouvons pas vraiment décider de son utilisation : autant l’on peut fermer les yeux ou la bouche, se pincer le nez, autant, même en se bouchant les oreilles, l’on ne peut complètement s’empêcher de percevoir les sons qui nous entourent. L’audition est en fait un phénomène multisensoriel : l’oreille capte les ondes sonores mais ces dernières peuvent aussi être perçues physiquement par d’autres biais – notamment par résonance vibratoire corporelle [1] et par phénomène de conductivité osseuse [2]. Ainsi, nous sommes soumis à notre environnement sonore et celui-ci peut avoir une influence très sensible sur nous.
Les voies auditives commencent à fonctionner dès le 5è mois de vie intra-utérine : le fœtus perçoit principalement les basses fréquences – particulièrement les sons corporels de sa mère, tels que les battements de cœur – et la voix de sa mère. Certaines études ont montré l’impact de stimulations sonores in utéro sur l’apprentissage du langage [3]. L’on prête aussi à ces stimulations des bienfaits psychiques – capacité du bébé à mieux s’apaiser. Après la naissance, le développement du cortex auditif se fait jusqu’à l’âge de 6 ans.
L’environnement sonore d’un enfant prend une part active dans son développement : les sons et les voix des personnes qui l’entourent constituent une sorte d’enveloppe, un espace dans lequel il peut se sentir en sécurité, où son développement psychique pourra se faire de façon équilibrée[4]. G. Vaillancourt, musicothérapeute, nous l’explique ainsi :
L’oreille nous tient d’abord lieu de système d’alarme. Dès la naissance, et même déjà dans le milieu utérin, nous reconnaissons un certain nombre de sons, qui vont de l’agréable au désagréable, ce dernier avertissant d’un danger. L’oreille opère une sélection constante afin d’adapter notre réaction à l’environnement. C’est ainsi que l’oreille nous conditionne à toutes sortes d’émotions, plaisirs, peurs, surprises… L’environnement sonore de l’enfant doit être adéquat. La structure sonore doit être sécurisante, stable, à l’abri de la pollution et de ces bruits inutiles et agressants qui sèment la confusion et déstabilisent les repères.[5].
L’atelier de musicothérapie tend à recréer cet espace privilégié, cette enveloppe sonore dans laquelle l’enfant pourra se sentir suffisamment en sécurité pour explorer, s’exprimer et communiquer en toute liberté.
C’est sur cette base que l’enfant pourra ensuite apprendre à communiquer par le langage, utilisant les sons qui l’entourent par effet miroir : les babillages et gazouillis du bébé sont un exemple de ce phénomène d’expérimentation, où l’enfant teste en toute liberté, explore l’espace de communication qu’il peut y avoir entre lui et les autres, ainsi que la manière dont il peut se positionner et interagir avec son environnement.
L’atelier de musicothérapie tend à recréer cet espace privilégié, cette enveloppe sonore dans laquelle l’enfant pourra se sentir suffisamment en sécurité pour explorer, s’exprimer et communiquer en toute liberté. En tant qu’intermédiaire, le sonore constitue un espace à part, un entre-deux, un lieu neutre prêt à être investi. Ainsi, dans cet espace, l’utilisation de l’objet sonore et musicalpermet d’articuler le passage de soi à soi et de soi à l’autre. [6]Le médium sonore constitue un matériau avec lequel chaque enfant au sein du groupe pourra faire l’expérience d’une co-création et d’une co-existence harmonieuse. Il s’agit fondamentalement d’être ensemble : dans le groupe, chacun pourra apprendre à être à l’écoute de lui-même et des autres – apprendre à créer un équilibre entre ses besoins personnels et ceux du groupe.
Au niveau relationnel, la musique est un catalyseur. Elle permet des exercices qui ont un rôle éminemment social : la relation permet la participation à une œuvre collective. Vivre dans un groupe et tenir compte d’un entourage crée l’échange. En ce sens, la musique a une valeur particulièrement sociale, et aussi sociologique au niveau de l’adaptation et de l’apprentissage. [7]
C’est par le jeu que le processus opère [8] : à travers des propositions variées de jeux musicaux et d’explorations sonores libres, le musicothérapeute accompagne chaque enfant dans son processus de changement. Par exemple, le dispositif thérapeutique de la communication sonore peut être utilisé – Édith Lecourt, qui l’a conceptualisé, le décrit comme suit :
La consigne est une invitation à ‘‘tenter d’entrer en relation par l’intermédiaire des sons’’, dans le registre non-verbal, et lorsque c’est possible, explorer aussi la situation les yeux fermés (pour se concentrer sur le sonore) […] Les participants (en petit groupe) ont à disposition un matériel sonore/musical (instruments diversifiés – vents, cordes, percussions, objets à bruits) [9].
Ainsi, la musicothérapie peut favoriser l’expression et la meilleure gestion des émotions, améliorer la confiance en soi et aux autres, permettre de développer une meilleure communication et sociabilisation. L’objectif est de restaurer et d’améliorer l’équilibre psychique, émotionnel, social et cognitif de l’enfant en l’aidant à développer et utiliser ses propres ressources.
Ce dispositif est toujours constitué d’un temps de jeu libre et d’un temps de verbalisations ou les enfants participants sont invités à exprimer et discuter de ce qu’ils ont ressenti. Sur ce modèle, d’autres déclinaisons de jeux sonores sont possibles, comme celui du « Grand Musicien » : un enfant est alors invité à endosser le rôle de « soliste », ce qui permet de travailler la confiance en soi, le rapport au regard et au jugement potentiel de l’autre [10]. Le jeu du « Chef d’orchestre » sollicite la coordination et la coopération, la capacité à se positionner dans différents rôles et fonctions dans le groupe (leader /interprète, soliste/groupe). Dans le registre des dispositifs actifs [11], on retrouve également les improvisations musicales libres – qui laissent le champ d’exploration complètement ouvert – et les improvisations musicales contées – l’enfant est alors invité à créer une narration verbale et à s’accompagner musicalement. L’écoute de sons et de musiques peut également intervenir dans les séances [12], ainsi que des temps de détente/relaxation [13]. Dans tous les dispositifs qu’il propose et élabore, le musicothérapeute apporte sa présence active et son étayage constant, garants de l’intégrité du groupe et de chaque participant.
Ainsi, la musicothérapie peut favoriser l’expression et la meilleure gestion des émotions, améliorer la confiance en soi et aux autres, permettre de développer une meilleure communication et sociabilisation. L’objectif est de restaurer et d’améliorer l’équilibre psychique, émotionnel, social et cognitif de l’enfant en l’aidant à développer et utiliser ses propres ressources.
Cet article a été écrit en août 2018 par Fanny Ingrassia,
musicothérapeute en profession libérale et au centre des Petits Lutins de l’Art.
Bibliograhie :
Anzieu, D. (1976). « L’enveloppe sonore du Soi ». Nouvelle Revue de Psychanalyse. n°13.(p. 161-180).
Fauconnier, F. et Bertrand, J. (2001). « Musicothérapie expérimentale : harmonies et différences. ». Cahiers de psychologie clinique. n° 17. (p. 241 – 250). De Boeck.
Lecourt, E. (2011). « L’intervalle musical : entre l’autre et l’autre ». Insistancen°6. (p119-132).
Vaillancourt, G. (2005). Musique, musicothérapie et développement de l’enfant. Montréal. Editions de l’hôpital Sainte-Justine – centre hospitalier universitaire mère-enfant.
Winnicott, D. W. (1975). « Objets transitionnels et phénomènes transitionnels ».Jeu et réalité. Coll. Folio/essais. Paris. Gallimard.
« Learning-induced neural plasticity of speech processing before birth », PNAS, 10 septembre 2013, vol 110, n°37.
Notes de bas de page :
[1]Par exemple, chacun a déjà ressenti l’effet corporel des basses fréquences à l’écoute de certaines musiques actuelles (rock, l’électro, la techno, etc.).
[2]L’ostéophonie, phénomène aussi utilisé pour créer des appareils auditifs pour malentendants.
[3]« Learning-induced neural plasticity of speech processing before birth », PNAS, 10 septembre 2013, vol. 110, n°37.
[4]Selon le concept du Moi-Peau de Didier Anzieu, psychanalyste, qui décrit l’existence d’une enveloppe sonore, sorte de ‘peau auditivo-phonique’ qui aurait une fonction dans le développement de l’appareil psychique du bébé.
[5]Vaillancourt, G. (2005), Musique, musicothérapie et développement de l’enfant, Montréal, Éditions de l’hôpital Sainte-Justine, Centre Hospitalier Universitaire mère-enfant, p. 37.
[6]En référence au concept d’« aire transitionnelle » et d’ « objet transitionnel » de Winnicott.
[7]Fauconnier, F. et Bertrand, J. (2001). « Musicothérapie expérimentale : harmonies et différences. ». Cahiers de psychologie clinique. n° 17. (p. 241 – 250). De Boeck. p4.
[8]En référence aux écrits de Winnicott sur le jeu et la créativité : Winnicott, D. W. (1975), Jeu et réalité, Coll. Folio/essais, Paris, Gallimard.
[9]Lecourt, E. (2011). « L’intervalle musical : entre l’autre et l’autre », Insistancen°6, p. 10 (p. 119-132)
[10]Cette position peut être à la fois valorisante mais également exposante.
[11]Il existe deux formes de pratiques de la musicothérapie, l’une dite « active » (où le participant est invité à pratiquer, jouer), l’autre dite « réceptive » (le participant est alors invité à écouter de la musique ou des sons).
[12]Il s’agit alors de pratique « réceptive ».
[13]par exemple méthodes Bergès, Jabocson ou Schultz.