Portrait d’art-thérapeute : Corinne Montchanin
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a amené vers l’art-thérapie ?
C. Montchanin : On vient souvent à l’art-thérapie par des chemins de traverse. Pour moi, paradoxalement, c’est l’art-thérapie qui est venue à moi. J’ai commencé ma vie professionnelle comme orthophoniste dans un centre médico-psychologique* (*CMP associatif Société Philanthropique) pour enfants et adolescents. Le médecin directeur de l’époque a souhaité orienter une partie des propositions de soins sur les thérapies à médiation artistique.
C’est un projet qui m’a profondément intéressée, même si j’ai longtemps eu l’impression d’œuvrer en terra incognita. J’ai participé durant plusieurs années à différents groupes de travail qui étaient alors en place au Centre d’Etude de l’Expression à l’Hôpital Sainte Anne. Puis un peu plus tard j’ai obtenu un master en Sciences Humaines.
Finalement, après avoir exploré en partie les arcanes du développement de la parole et du langage verbal à travers les richesses et les faiblesses du parler de l’enfant, je me suis tournée vers le langage plastique avec lequel j’ai des affinités à la fois vives et anciennes. Dès le début, je me suis appuyée sur des souvenirs de sensations, les ressentis de l’enfant qui prend un plaisir infini à appliquer une couleur sur une surface blanche, à conduire une ligne sur l’espace de la feuille, à modeler une forme avec de la terre. J’ai toujours été en sympathie profonde avec cet univers de formes, de couleurs, et de textures. Ma pratique personnelle est un fil qui se distend parfois mais ne rompt pas. C’est ce qui soutient, accompagne et prolonge ma pratique professionnelle.
Ce qui est intéressant, c’est la démarche par processus. Processus de création, bien-sûr, mais aussi processus de recherche, d’incertitude, d’erreur, d’apprentissage de soi et sur soi … c’est la mise en œuvre de ces processus qui permet de prendre en compte ce qui est nécessité pour soi. Car ce qui est nécessité pour soi n’est pas toujours accessible directement, un détour est parfois nécessaire.
Comment définiriez-vous cette discipline ?
C. Montchanin : Pour moi, l’art-thérapie a pour principe de développer ce qui existe, de faire apparaitre ou de stimuler les bonnes choses qui sont en nous et que nous méconnaissons ou que nous cachons précieusement.
Ce qui est intéressant, c’est la démarche par processus. Processus de création, bien-sûr, mais aussi processus de recherche, d’incertitude, d’erreur, d’apprentissage de soi et sur soi … c’est la mise en œuvre de ces processus qui permet de prendre en compte ce qui est nécessité pour soi. Car ce qui est nécessité pour soi n’est pas toujours accessible directement, un détour est parfois nécessaire. Ce détour par une médiation artistique, s’appuie sur une relation avec un thérapeute pour avoir valeur de soin. Un thérapeute qui possède à la fois des compétences artistiques et des compétences en matière de soin psychique. Il est important qu’il soit non seulement en sympathie avec les matériaux artistiques bruts qu’il propose, mais qu’il vive et analyse son propre processus de création. Il est aussi important que l’art-thérapeute ait une connaissance de l’intérieur des processus psychiques, à travers l’expérience d’un cheminement psychothérapique personnel.
Cette discipline est étroitement liée à une manière d’être et de faire centrée sur l’accueil de l’imprévu. L’imprévu de la rencontre et de ce qu’elle recèle comme risque, mais aussi l’imprévu de la création qui est toujours un peu différente de ce que l’on avait imaginé ou rêvé.
Vous avez co-écrit l’ouvrage Art-thérapie et Enfance : Contextes, principes et dispositifs avec le Dr Anne-Marie Dubois. En quoi était-il important d’écrire spécifiquement sur l’enfance ? Quelles spécificités avez-vous pu dégager ?
C. Montchanin : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’art-thérapie avec l’enfant est infiniment plus complexe qu’avec l’adulte. D’abord parce que l’enfant est un être en développement selon un rythme qui est sans comparaison avec celui de l’adulte. Ensuite parce que l’enfant est un être dépendant. Il dépend de manière étroite de son environnement, et au premier chef, de ses parents.
Il existe donc un mouvement, une sorte d’élan vital spontané lié au processus de développement et sur lequel nos interventions auprès de l’enfant vont pouvoir s’appuyer. Mais il existe aussi la nécessité de prendre en compte les liens avec l’environnement, et notamment avec les parents. La créativité fait généralement partie de la vie de l’enfant, de son quotidien. Elle est un levier puissant dans sa relation au monde qui l’entoure. Un levier de développement et d’appropriation de l’existence. Mais la créativité serait plutôt le fond sur lequel se détacheraient les formes de l’existence.
En art-thérapie, on recherche plutôt la mise en œuvre d’un processus de création, ce qui nécessite un engagement soutenu et continu pour produire une œuvre. On est dans un processus d’exploration et de mise en forme des possibilités graphiques et picturales qui appelle un certain effort et une mobilisation de tout l’être. L’enfant se soutient de la relation qu’il tisse avec l’art-thérapeute, et avec ses pairs dans le cadre d’un groupe. De son côté, l’art-thérapeute n’oublie pas l’enfant qu’il a été. Mais réactiver d’anciennes archives peut s’avérer risqué pour qui ne s’y prépare pas suffisamment. L’enfance vivante en nous-mêmes est une expérience intense, une expérience qui recèle aussi parfois la puissance d’une bombe à retardement.
Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, il me semble important de considérer le soin art-thérapeutique avec l’enfant comme une spécificité.
À quoi ressemble le métier d’art-thérapeute dans un CMP ?
C. Montchanin : C’est le pédopsychiatre du CMP qui m’adresse les enfants et les adolescents. Je reçois des enfants qui souffrent d’anxiété ou de troubles émotionnels. Des enfants confrontés à des troubles des apprentissages, des troubles attentionnels, et qui ont une faible estime d’eux-mêmes. Des enfants qui ont des troubles du comportement, qui sont impulsifs et ne supportent pas la frustration. Des enfants pour qui la parole peut être vécue comme menaçante ou bien au contraire, qui reste opératoire et finalement peu efficiente pour parler de soi. On observe souvent que le fait de centrer clairement la rencontre sur la communication plastique a un effet libérateur sur l’expression verbale spontanée.
Le premier rendez-vous avec l’enfant et son parent sert à présenter le cadre des séances, les règles de fonctionnement de l’atelier, se mettre d’accord sur les horaires et la régularité des séances. Et très vite je fais passer l’idée que le lieu de l’atelier est l’espace d’expression de l’enfant. Cette dimension de protection est nécessaire pour que le processus thérapeutique soit protégé au maximum d’éventuelles intrusions extérieures. Je précise que nous pourrons nous revoir bien-sûr, mais dans une autre pièce du CMP, et surtout je rappelle que l’enfant et ses parents rencontreront le pédopsychiatre régulièrement. Ces consultations médicales sont tout à fait primordiales car elles permettent de replacer l’enfant au cœur de sa famille et de son environnement élargi. Elles sont l’occasion pour que chacun, de sa place, exprime ses ressentis et ses inquiétudes tout en protégeant l’espace du soin propre à l’enfant.
La co-animation apporte une dimension tout à fait intéressante. Elle enrichit les possibilités relationnelles ; ce qui est nécessité pour un enfant à un moment donné peut être pris en compte individuellement, tout en maintenant le régime groupal. L’enfant utilise cette souplesse du dispositif pour surmonter les obstacles ou les empêchements qui peuvent survenir au cours des séances. Avec les arts plastiques, la présence au final de productions concrètes oblige à une organisation rigoureuse pour assurer la conservation des œuvres pendant la durée du soin. Chaque enfant doit éprouver l’assurance que toutes ses productions seront gardées et protégées, ce qu’il vérifie régulièrement d’ailleurs. L’art-thérapeute a donc aussi une mission matérielle importante, une mission qui a une valeur symbolique. Il a le souci des objets produits par l’enfant, il s’en préoccupe et en prend soin.
Quel regard portez-vous sur l‘art-thérapie dans notre contexte actuel, en France ?
C. Montchanin : Je ne saurais répondre à votre question ; je ne pense pas avoir de vision générale de l’art-thérapie. En revanche, je rencontre de nombreuses personnes dans les formations d’art-thérapie organisées à l’Hôpital Sainte-Anne. Et je suis parfois surprise des résultats qu’elles obtiennent à force d’enthousiasme et de détermination. Elles parviennent à mettre en place et parfois à pérenniser des dispositifs d’art-thérapie dans des lieux de soin. Ce qui suppose de faire sa place, et parfois de s’imposer dans des équipes qui ne sont pas toujours familières des principes art-thérapeutiques. Bien souvent, il est possible d’obtenir l’appui d’une ou deux personnes de la structure, mais une certaine hostilité peut diffuser dans les équipes, pour différentes raisons : l’illusion d’avoir à défendre son pré carré, la nécessité de penser les soins en faisant un pas de côté, la méfiance vis-à-vis de l’inconnu. Les art-thérapeutes doivent donc souvent défendre leur pratique et leur place dans les équipes.
Mais j’ai croisé et côtoyé de nombreuses personnes avec des projets formidables et qui ont réussi à les mettre en œuvre et ça, c’est un indicateur très positif pour l’art-thérapie et pour la pertinence de sa présence dans les structures de soin.
Cet entretien avec Corinne Montchanin s’est déroulé en février 2019.